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Un éminent paléontologue, dans les Kem-Kem

C’était au mois de décembre 1948, depuis quelques jours le “téléphone arabe” avait signalé au capitaine Jouin, chef du Bureau des A.I. du Cercle de Zagora, qu’un étrange Européen venait du Sud suivi par un chameau et un jeune harratine. Quelques jours plus tard, on vit arriver un équipage bizarre. L’homme était coiffé d’un vieux casque colonial, d’une soutane de toile plutôt usagée et à son cou pendait une grande croix de métal. Le chameau portait des sortes de grands troncs d’arbre desséchés et le petit harratine suivait docilement. L’homme se présenta : Abbé Lavocat, professeur au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, correspondant du British Museum de Londres, suivi d’une succession de bien d’autres institutions scientifiques nationales et internationales. En fait, l’abbé était un paléontologue distingué qui recherchait dans les oueds desséchés en bordure de la Hammada du Guir des vestiges fossilisés de dinosaures. Les os qu’il transportait était en fait deux os d’un membre postérieur d’un diplodocus. Il expliqua qu’il avait trouvé les restes de ces animaux sur une longueur de 200 kilomètres dans le cours d’un oued et qu’il espérait bien l’aide des militaires pour aller chercher ce qu’il avait laissé. Quelques jours plus tard, l’expédition fut organisée avec une jeep, le Dodge sanitaire et un camion civil plus ou moins réquisitionné auprès du commerçant juif local. Après plus de vingt heures de voiture, ils arrivèrent sur les lieux du site après avoir quand même ramassé en route des os plus plus ou moins grands. Revenus quelques jours plus tard à Zagora, il leur resta à étiqueter tous les os, à les emballer soigneusement, car ils étaient particulièrement cassants et fragiles, et à les expédier vers Paris, via Marrakech et Casablanca, pendant que l’abbé retournait à ses recherches, cette fois-ci dans l’Erg occidental.
D’après un texte de J. Delacourt paru dans Histoire des Affaires Indigènes, La Koumia 1990

Désireux de tenter des recherches paléontologiques en Afrique afin d’y trouver des mammifères oligocènes, l’abbé René Lavocat, docteur en sciences, vivement approuvé et soutenu par son Directeur de laboratoire le Professeur C. Arambourg, sollicita et obtint en 1947 du CNRS une mission qui allait le conduire dans le désert algéro-marocain. Après un parcours à pied (et en voiture) de plus de dix milles kilomètres dans les hammadas des confins algéro-marocains durant trois hivers (1948-49, 1949-50 et 1950-51), il n’y trouva pas les mammifères oligocènes escomptés mais une riche faune de vertébrés crétacés dont probablement des Spinosauridae. Sa première note concernant cette faune est publiée en 1948 dans les Comptes Rendus Sommaires de la Sociétés géologiques de France où il explique la découverte d’un important gisement de reptiles (dinosaures et crocodiles) et de poissons dans le soubassement crétacé de la Hammada du Guir. Une seconde note apparaît en 1949 dans la même revue où Lavocat étend le gisement jusqu’au Sud-Ouest des Kem-Kem et situe précisément plusieurs gisements particulièrement riches en une faune qui est semblable sur tous les sites. Après avoir publié d’autres notes sur la géologie et l’âge des Hammadas du Sud marocain, il mentionne en 1951 la découverte d’un grand dinosaurien sauropode dans le Crétacé non loin de l’Oued Bou Haïara, au pied du versant sud de la Gara Sba. Durant l’hiver 1951-1952, il retourne sur ce même gisement et achève, grâce au moyen matériel et aux hommes que lui met à sa disposition le Service Géologique du Maroc, la fouille du gisement de dinosaures. Ce dernier n’est qu’une petite lentille fossilifère qui est très rapidement fouillée ne permettant de mettre au jour que quelques ossements supplémentaires. Le paléontologue français fait en 1954 un compte rendu de ces découvertes faites dans trois gisements des Kem Kem (Tabroumit, Kouah Trick et Gara es-Sba). Bien qu'il fouille dans des gisements forts riches en restes osseux et dents de Spinosauridae, il ne semble pas mentionner d'ossements de cette famille, contrairement à celles des Megalosauridae, des Carcharodontosauridae et d'autres familles de théropodes. Cependant, Lavocat mentionne à plusieurs reprises des ossements et des dents qu'il n'arrive pas à rapprocher à un dinosaure carnassier et qui pourraient peut être appartenir à Spinosaurus. De plus, les dents de Spinosauridae ressemblent fortement à celles des crocodiliens. Vu l'abondance des dents de Spinosauridae dans ce gisement, il est pratiquement certain que Lavocat à du en découvrir sans pouvoir les rapprocher à cette famille.

En 1960, l’abbé A. F. de Lapparent, de l’Institut catholique de Paris, établira Inosaurus à partir de vingt-cinq vertèbres “massives” et d’un tibia incomplet récoltés dans trois secteurs du Crétacé inférieur du Sahara marocain sans qu’aucun caractère ne permettre toutefois d’établir la nature théropodienne de ce dinosaure.
En 1971, l’Institut et Muséum de géologie et de paléontologie du Georg-August-Universität de Göttingen en Allemagne demande au docteur H. Alberti et deux de ses employés (O. Chérif et U. George) de récolter des ossements dans le Continental Intercalaire de la base de la Hammada du Guir près de la ville de Taouz au Maroc (Buffetaut, 1989). Le matériel ramené à Göttingen comprend des restes de quelques crocodiles, d'un cœlacanthe géant, de crossoptérygiens, quelques dents de dinosaures carnivores rapporté au genre Carcharodontosaurus et enfin des restes d’un autre dinosaures carnivores rapporté au genre Spinosaurus et dont Buffetaut décrit un maxillaire incomplet (Buffetaut, 1989).

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Le père Lavocat sur un site de fouilles

 

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Une séance de platrage en compagnie de son aide.


Bibliographie du Père René Lavocat

Sur l’existence de plissements affectant les terrains récents de la Hammada du Guir. C.R. sommaire Soc. géol. Fr., 1948, n°7, 12 avril.
Découverte de Crétacé à Vertébrés dans le soubassement de la Hamada du Guir. C.R. Acad. des Sc., 1948, t. 226, p. 1291, 19 avril
Les gisements de Vertébrés crétacés du Sud marocain. C.R. sommaire Soc. géol. Fr., 1949, n°7, 7 avril. 
Quelques observations dans les hammadas du Sud marocain. C.R. sommaire Soc. géol. Fr., 1949, n°7, 9 mai.
Sur l’âge de la Hamada du Draa. C.R. Soc. géol. Fr., 1950, n°9, 8 mai.
Découverte de restes d’un grand dinosaurien sauropode dans le Crétacé du Sud marocain. C.R. Acad. des Sc., 1951, t. 232, page 169, 8 janvier.
- Reconnaissance géologique dans les Hammadas des Confins Algéro-Marocains du Sud. Notes et Mémoires n°116. Service Géologique du Maroc 1954

Joly F. & Lavocat R. : Observations géologiques et morphologiques dans les Kem-Kem de la Daoura. C.R. Soc. géol. Fr., 1949, n°13, 7 novembre.